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L'ARCHIMOLLITECTE

 

-Vous êtes en thèse c'est ça ?

-Oui.

-Quelle Université ?

-Johannesburg. Vous connaissez ?

-Oui j'y suis allé. Mais je suis claustrophobe. Les villes souterraines, ce n'est pas pour moi.

-Ah ?

-On dit qu'elle est aujourd'hui aussi profonde que Manhattan était haute autrefois ?

-Oui, c'est le cas, mais en de très rares endroits et ce sont généralement des puits pour atteindre des nappes phréatiques, ou des égouts tout simplement. Les habitations ne descendent pas aussi bas. Mais presque...

-Et sur quoi porte votre thèse déjà, je n'ai pas bien compris ?

-Sur les innovations techniques dans l’architecture d'après-guerre en France.

-Ah oui? Et quelle guerre précisément, 61-65 ?

-Oui.

-D'accord. Par quoi voulez-vous commencer ?

-Je pensais à la Nouvelle Cité de la Muette.

-Il est terrible ce nom, on aurait pu penser qu’ils l’auraient changé...

-Pouvez-vous décrire brièvement le projet ?

-Oui, bien sûr. Après l'inondation du bidonville parisien, quelques années après la guerre, la densité de population s'est accrue autour de la capitale qui était devenue inhabitable. La guerre avait fait place nette d'une bonne partie du parc immobilier il a donc fallu reconstruire. Notamment à Drancy à l'emplacement dit de la cité de la Muette, tristement célèbre.

-C’était un camp de concentration ?

-Oui. Mais c’était avant tout une cité HLM construite par Lodds et Baudouin, les pères du modernisme français, avec le concours de Prouvé. La cité n’a jamais été terminée, il n’y avait pas de cloisons à l’intérieur. Un gigantesque open space dans lequel allaient s’entasser les déportés.

-Pourquoi avoir gardé ce nom, alors ?

-Peut-être parce qu’à l’origine l’idée était de construire une cité ouvrière. C’était le programme des cités fleuries qui ont essaimé en Île-de-France dans les années trente, 1930. C’est cette idée là qu’ils ont voulu promouvoir, mais c’était plutôt maladroit.

-Et donc, le marché vous a été attribué ?

-Oui en effet. Là il fallait faire un choix : ce qui était attendu c’était l’éternel empilement de béton où l’on allait caser tout le monde. Nous voulions faire autre chose.

-Pourquoi avoir opté pour une construction souple ?

-C'est quelque chose que nous avions déjà testé et qui était assez concluant.

-A Langres ?

-Oui, la maison de Langres. C’était une maison individuelle, sur le plateau de Langres. Un des endroits où le vent soufflait le plus fort en France. On a décidé d'intégrer cette donnée climatique dans le concept et on a fait une maison déformable. C'est-à-dire que la maison n'est pas un rempart, elle n'est pas conçue comme un abri contre la nature mais elle s'y intègre, épouse sa dynamique.

-Était-ce une construction paracyclonique ?

-Pas tout à fait. En tout cas ce n'était pas le but, à l'époque nous n'avions pas encore ce type de problème, c'était avant la guerre. C'est plus tard en reproduisant le modèle dans le sud de la France qui commençait à subir de véritables cyclones qu’on s’est rendu compte d'une certaine adaptabilité du bâtiment à un milieu plutôt... Hostile.

-Comment se présentait la maison originale?

-C'était une suite de plusieurs cellules. Concrètement c'est comme une tente géante, mais dont la voilure serait une grande chambre à air, plus résistante. Une double chambre à air en fait, gonflée à des degrés de pressions différents comme une roue de VTT : une pour la couche externe, très souple et très déformable. On avait même réussi à ce que la maison garde la mémoire de la déformation. La morphologie était variable selon le vécu de la maison. Puis il y avait une autre chambre à air, pour l'habitacle plus gonflée, plus tendue. Les sols étaient en carton enduits de résine. C'était quelque chose de très léger, ancré littéralement dans le sol, par des câbles, mais le logis reposait à la surface du sol. -Comment étaient fabriquée cette maison ?

-Comme un immeuble classique. Avec des éléments préfabriqués assemblés sur place, on n'a pas besoin de fondation donc ça va assez vite.

-Et pour Drancy vous avez utilisé le même principe ?

-Cela présentait de nombreux avantages: une bonne résistance aux intempéries, une certaine facilité et rapidité de production. En termes d'isolation thermique le caoutchouc que nous utilisions était très performant. Cela évitait les îlots de chaleur, les tours de béton qui devenaient de véritables fours en été. Et puis c'était économiquement assez intéressant.

-Comment cela?

-Le caoutchouc. La plupart est issu du recyclage. Recyclage du caoutchouc lui-même et du pétrole pour le fabriquer. La maison de Langres c'est vrai a coûté très cher. On recyclait très peu le plastique à l'époque, on savait le faire mais c'était compliqué. On était aux alentours de cinq pour cent pour la part de recyclage dans la production mondiale, ce qui est très faible. Aujourd'hui c'est tout le contraire... C’était important comme facteur de développement de mes projets. Une matière première qui soudain devenait économique !

-La région parisienne n'était pas encore vraiment sujette aux fortes d'intempérie dans l'immédiat après-guerre ?

-Non, mais on le craignait. Les crues à répétition et les pluies diluviennes inquiétaient les autorités. Les violentes tempêtes qui ont eu lieu dans le sud, tout le littoral atlantique immergé, tout cela créait un ensemble anxiogène quant à l'avenir. Les premiers exodes massifs datent de ces année-là. La suite nous a donné raison...

-Pour en revenir au bâtiment, comment avez-vous décidé de sa morphologie?

-On ne pouvait pas monter trop haut avec le caoutchouc évidemment. Et on a une meilleure résistance au vent avec des constructions basses. On a donc décidé de s'étendre plutôt que de monter en étage. Pour la forme du bâtiment on a fait des maquettes en argile encore fraîche et qu'on a mises en soufflerie. On s'est inspiré du résultat. Et pour compléter, on a simulé la déformation subie par des blocs de caoutchouc sous l'effet de vents violents, via un logiciel. Le mélange des deux a donné la forme générale des cellules. Nous avons utilisé un caoutchouc translucide, ce qui nous a donné une belle luminosité, uniforme dans tout l'habitacle. Les cellules chauffaient plus facilement également, une grande serre en somme.

-Est-ce que c'est cette serre qui vous a incité à insérer une forme très poussée d'agriculture urbaine et naturelle au sein de la construction même?

-En partie oui. Mais l'adjonction de terres à cultiver au sein des constructions dévolues à l'habitation était déjà une obligation depuis la loi d'urbanisme de 66. On était en pleine reconversion de l'agriculture. L'agriculture scientifique n'était plus viable économiquement. C'est le moment où la permaculture s'est vraiment implanté dans le pays, durablement. On ne peut plus rien construire aujourd'hui sans avoir des notions d'agriculture naturelle et de permaculture. Il faut dire que le paysage a vraiment radicalement changé. Au début du siècle dernier les terres cultivées représentaient plus de la moitié de la surface du pays. 90% de la surface de l'Europe était occupée par des exploitations agricoles ou des forêts.

-On en est loin aujourd'hui. A quoi attribuez-vous cette désertion des exploitations agricoles ?

-C'est le climat, essentiellement . Après une période assez clémente finalement du réchauffement et qui a plutôt favorisé les rendements de l'agriculture européenne, tout s'est effondré. Les terres avaient perdu en fertilité, en résilience, les agriculteurs ne trouvaient pas de repreneurs pour leurs exploitations. Les terrains se sont dévalués à grande vitesse. Cela a créé un faisceau de difficultés qui attendait une réponse. La première a été la guerre. Ensuite il a bien fallu proposer autre chose.

-L'agriculture urbaine était pourtant assez en vogue avant-guerre ?

-En fait cela existait déjà depuis un moment, c'était préconisé en tout cas, mais très marginal en réalité. Oui, ça fleurissait çà et là, les jardins partagés, les friches etc... Mais c'était des initiatives personnelles le plus souvent. Il a fallu attendre vraiment l'après-guerre pour une initiative politique d'envergure. Il a fallu du temps pour systématiser. Et puis, cela n'a l'air de rien, mais empiéter sur les champs, ça laisse une place considérable pour l'habitat. Quand les gens ont eu l'obligation de devenir autonomes, de produire leur propre nourriture... Ça a tout changé. C'était le moment de la reconversion. Les fermiers se sont recyclés en jardiniers en ville... Ce qui n'est pas rien sachant que chaque immeuble devait avoir suffisamment de sols fertiles pour pourvoir aux besoins de ses occupants.

-Quelle influence, finalement, cette loi d'urbanisme a-t-elle eu pour vous ? A-t-elle modifié la manière de construire par exemple?

-Non, pas vraiment... ou indirectement. C'est-à-dire qu'elle a modifié le territoire lui-même, plutôt. Elle a abolie la distinction entre urbanisme et campagne, les deux appartiennent désormais au même tissu construit. Ce qui nécessairement nous pousse à imaginer les espaces autrement, l'envergure, la hauteur, les matériaux.

-Cela ressemble un peu à une grande banlieue pavillonnaire, non ?

-Ça, ça dépend des équipements que vous décidez d'installer. Les immeubles que j'ai construits s'accordent avec un certain mode de vie, ils offrent certaines possibilités à ses utilisateurs, mais vous savez, un enfant dessine encore aujourd'hui une maison en faisant un carré et un triangle au-dessus. Ça n'existe pourtant plus ces maisons... Ce que je veux dire, c'est que la fonction varie très peu en fait... On fabrique des cellules ouvertes sur le monde. A l'intérieur, on y met ce qu'on veut.

-On ne pourrait plus y faire un camp dans ces immeubles ?

-Non, bien sûr, et heureusement. Ce ne sont pas complètement des signes vides qu'on investit au gré des politiques. On essaie de produire autre chose que le vieux junkspace, passe partout et destructeur. Même si on construit beaucoup plus finalement.

-Vous parliez du dessin d'enfant, vos productions semblent investir cet univers n'est-ce pas ?

-Complètement. Je m'inspire beaucoup de mes souvenirs d'enfance. Plus vous grandissez, plus vous évoluez dans la vie et moins vous jouez. Comment expliquer que ce qui est primordial à un certain âge disparaisse complètement à un autre. C'est vrai que l'univers du jeu, les airs de jeux me sont restés comme exemple de terrain où l'on pouvait évoluer de manière ludique et être en permanence attentif à son corps, à ses mouvements. C'est très important pour moi.

-Est-ce que cela ne semble pas assez difficile comme type d'habitat, finalement?

-Par rapport à quoi ? La souplesse ne veut pas dire qu'on habite un matelas à eau... Et pour le reste oui, il faut une place pour de la culture, il faut se restreindre sur ce que l'on produit et ce que l'on mange, ce qu'on consomme. Mais c'est plutôt sain finalement. C'est surtout l'environnement qui est très changeant. Comment s'adapter à un environnement toujours en mutation ? On passe d'un minimum de Maunder...

-Dans les années cinquante du siècle dernier?

-Oui des hivers longs et anormalement rigoureux , et brutalement tout se dérègle: intempéries, cyclones... Puis sécheresse... On a eu si voulez, après un climat méditerranéen, clément mais avec des excès je dirai, un climat plutôt tropical. Avec l'accélération des rythmes... Heu, si vous voulez, il y a eu trois crues centenaires en région parisienne en moins de dix ans depuis la fin de la dernière guerre. Il a fallu trouver des solutions pour des écarts de climat aussi extrêmes et qui s'enchaînent aussi vite.

-Mais dans l'ensemble, quelles étaient les réactions des usagers concernant ces nouvelles formes d'habitation ? Parce que vous avez été plutôt suivi dans ce sens ? Et les villes se sont considérablement étendues !

-Oh... oui, c'est vrai. Mais c'est difficile à dire... Pour les habitants, je veux dire. Les gens ne restaient pas vraiment. Très peu ont réellement habité ces immeubles de manière durable.

-A quoi l'attribuez-vous ?

-Ce n'est pas que ces immeubles... Le pays en général. Quand le littoral a commencé à vraiment reculer, et les crues à se multiplier, il y a eu des exodes massifs, comme je vous le disais. Aujourd'hui encore d'ailleurs. Plus les littoraux atlantique et méditerranéens se rapprochent et plus les populations se déplacent. Il est question de reconstruire Paris, mais on sais dores et déjà que le terrain sera définitivement sous l'eau d'ici une cinquantaine d'années.

-Il est question de polders, non ?

-Ça ne semble pas raisonnable, surtout après le désastre du bidonville parisien... Le risque est trop grand.

-C'est vrai que le bidonville parisien a aussi était un moment clé de la reconstruction, jusqu'à la crue... Vous y avez vous-même habité, il me semble ?

-Oui, juste après la guerre, le centre-ville de Paris a été tellement endommagé... je dirai qu'il a été rasé net, d'ailleurs, ce serait plus juste.

-Une grande partie du parc immobilier est à reconstruire, mais la guerre a laissé le pays, comme d'autres en Europe totalement exsangue. Les caisses étant vides les chantiers n'avancent pas. Les gens s'installent par eux-mêmes et construisent cette espèce de bidonville qui tiendra à peu près trois ans. Que faisiez-vous à ce moment-là ?

-J'y habitait, simplement, comme vous le disiez.

-Comment le bidonville a-t-il pu s'installer au cœur de la capitale alors qu'il y avait des chantiers en cours, et nombreux ?

-Oh... la situation est vite devenue ingérable. Les chantiers étaient abandonnés pendant des mois. Après cela évidemment ils étaient occupés, tout était bloqué. Les gens revenaient chez eux, même s'il n'y avait plus rien, ils ne savaient pas où aller. Et là il n'était pas question d'expulsion !

-Comment avez-vous réagit ?

-Comme tout le monde, par une forme d'urgentisme architectural. J'ai construit ma maison avec ce que je pouvais. Cela revêtait un caractère précaire. C'était une ville à construire par nous-même, tout était en perpétuel mouvement pour répondre tous les jours à une difficulté nouvelle. L'espace était en mutait continuellement, tout le contraire de l'architecture finalement.

-Cela semble plutôt exaltant...

-Intéressant, certainement, mais ça restait un bidonville...

-A quoi ressemblait votre maison ?

-Oh, un peu à toutes les autres. On utilisait les parpaings des chantiers avoisinants, un peu de tôle... Mais je l'avais construite dans les ruines d'un vieil immeuble haussmannien. Il devait y avoir six étages à l'origine, je pense, il n'y en avait plus que deux quand je suis entré et avant la crue on en comptait sept! J'ai donc construit un étage, pour ma part, avec une charpente en bois. L'avantage était de récupérer le réseau de canalisation quand il en existait encore. C'est ça qui rendait l'habitation viable ou non. Là où on ne pouvait as rejoindre le réseau, cela devenait vite des zones de non-droit, de maladie, de violence. Les distinctions sociales réapparaissent très vite, même au sein d'un bidonville.

-Et donc, trois ans après la guerre la grande crue de la Seine, qui s'était pratiquement tarie, est survenue à la grande surprise générale ?

-On ne l'attendait plus, elle était pourtant une grande inquiétude des autorités depuis pratiquement un siècle. Bref, tout s'est effondré dans et le long du lit de la Seine. Après quoi on a complètement enterré l'idée de réinvestir le bassin.

-Qu'en est-il aujourd'hui de l'ancien centre ville parisien ?

-Oh, il est complètement abandonné. C'est un no man's land . Et tout a commencé à se déployer au-delà. La densité d'habitation au mètre carré a doublé en six mois dans tous les départements voisins après la première crue. Parce qu'il y en a eu d'autres évidemment.

-La densité urbaine est en effet inédite, et les bidonvilles sont encore très présent sur le territoire français et même européen. Loin des immeubles autogérés que vous décrivez et que vous construisez depuis plus d'une quarantaine d'année. Y voyez vous un rapport entre une forme d'architecture qui répond à une urgence, climatique, et une architecture précaire que vous avez vous-même expérimenté ?

-En d'autres termes, si on avait construit des grandes villes en béton, pourquoi pas sous terre, est-ce qu'on aurait autant de pauvreté et de misère qu'en s'adaptant à un milieu transformé ? On revient à votre question sur la viabilité des ces habitats autonomes... Le fait que Johannesburg, Nairobi, Kinshasa soient devenues des villes extrêmement développées, riches voire le nouveau cœur économique mondial, ne signifie pas qu'elles ont éradiqué la pauvreté, elles l'ont éloignée.

-Vers l'Europe du nord direz-vous ?

-Non, plus vers l'est, la fonte du permafrost en Sibérie à rendue le territoire beaucoup vivable. Et la Russie reste, malgré ce qu'on peut en penser, un pays qui est ressorti très renforcé du dernier conflit et qui bénéficie encore de puissants atouts économiques. Mais pour en revenir à notre sujet, l'Europe, géographiquement, est encore en train de se transformer. Radicalement. On ne sait pas à quoi ressemblera sa carte d'ici un cinquantaine d'année et sa population est fluctuante. Oui l'Europe s'est paupérisée, les cadres et les classes supérieures ont tendance à en partir et l'afflux de migrants expulsés par les vagues de chaleur et de sécheresse qui pourraient remplacer ces population partent eux aussi. Nous sommes une zone de transit alors que nous pensions tirer le plus de profit du réchauffement climatique.

-Pourquoi refuser les constructions sous-marines, les villes souterraines, les villes encastrées sur flanc de montagne comme cela se fait ailleurs ?

-Je ne refuse rien pour ma part. Mais je trouve ces constructions... mais vous comprenez bien qu'on ne peut pas les faire n'importe où. D'ailleurs, il n'existe pas à proprement parler de ville sous-marine. Si vous faites allusion à l'Italie, les musées sous-marins de Rome et Venise, ne sont pas des villes, ce ne sont que des déambulations dans des tunnels sous l'eau. Et ça n'existe que parce que le patrimoine l'exigeait.

-Vous semblez dubitatif par rapport à ces solutions qui ont été trouvées pour pallier au changement climatique mais que vous ne souhaitez pas suivre. Pourquoi cela?

-En soi je trouve ça extraordinaire ce qui a pu être accompli ces trente dernières années. Il y a un siècle l'architecture souterraine était encore un avatar de l'architecture utopique. Je me souviens bien de ma première impression de Johannesburg, c'était un décor de film de science fiction des années 1990. Et c'est remarquablement intelligent quand on considère le contexte géographique.

Mais je ne crois pas complètement à l'implantation des ces réponses en Europe de l'ouest.

-L’Allemagne, et d'autres pays, la Pologne, la Slovaquie, on déjà opté pour ce type de construction.

-Géographiquement leur situation est très différente. L'hydrométrie n'a rien à voir, ce sont des climats continentaux, beaucoup plus secs. Mais cela reste anecdotique par rapport à l'ensemble du parc immobilier. Creuser pour construire et aménager une ville de plusieurs millions d'habitant est juste terriblement énergivore et beaucoup trop cher ! Je vous le répète nos populations sont, dans le meilleur des cas, des classes moyennes, vieillissante. Sinon nous sommes une population transitoire, relativement pauvre, installée comme le disiez la plupart du temps, dans des bidonvilles. Quel état est aujourd'hui assez riche, quelle entreprise est assez florissante en Europe pour produire de tels ouvrages ? Très peu, et à très petite échelle. Et sur un territoire aussi éprouvé que le notre par l'évolution du climat, on ne peut pas en rajouter une couche dans la destruction des écosystèmes.

-Mais toutes les constructions souterraines sont connues pour être de l'habitat passif !

-Cela ne veut pas dire grand chose aujourd'hui, c'est une problématique un peu passée, vous ne trouvez pas ?

-Comment cela ?

-L’énergie coûte beaucoup moins chère à produire malheureusement, et cela depuis un moment. Après-guerre notamment on a commencé à vraiment maîtriser le renouvellement de l'énergie : on a réussi à créer du pétrole synthétique, recyclé, et en masse. Le nucléaire s'est encore un peu plus développé... C'est comme si nous n'avions plus besoin d'économiser l'énergie.

-Mais elle beaucoup plus saine, moins nocive.

-Certes, mais la trace, heu... le résidu de nos activité reste toujours aussi néfaste. Nous produisons beaucoup de chaleur, de toxicité, de lumière nocturne. Nous polluons moins individuellement mais nous sommes toujours plus nombreux à vivre de la même manière énergivore. Une ville souterraine de trois millions d'habitant pollue plus qu'une ville en caoutchouc de vingt millions. Les villes souterraines sont des usines, des avatars de films de science fiction où se sont enfermés une poignée de gens contre le reste du monde, comme s'ils avaient un droit de préemption. C'est l'ultime Junkspace, la ville technologique sans âme, l'objet de désir uniforme et reproductible à volonté et qui reproduisent des schémas sociaux très conservateurs.

-C'est donc là votre grief.

De toute manière nous avons déjà perdu la bataille qui consistait à préserver l'environnement, tel qu'on le connaissait du moins. Donc, oui, nous faisons de l'habitat passif où que nous soyons dans le monde. Mais ces dispositifs représentent toujours un coût que les opérateurs ne veulent pas toujours prendre... Quand on n'a pas la chance d'habiter sous la terre pour 15000 dollars du mètre carré, que fait-on ?

-Bonne question !

-Il faut développer un habitat adéquat pour un plus grand nombre et les modèles d'habitations que nous avons développés ces dernières années sont très performants à beaucoup de points de vue. En tant qu'architecte, je dois chercher des solutions pour habiter, c'est-à-dire pour permettre une relation stable entre un individu et son environnement. Je cherche comment exploiter au mieux un terrain pour en dégager une meilleure qualité de vie, et pour des budgets adaptés. Et de fait, on revient aujourd'hui, en Europe, à une forme d'habitation vernaculaire. Par exemple, mon agence s'est beaucoup inspirée des techniques traditionnelles de construction des régions tropicales soumises à de forts aléas climatiques. Notamment à Haïti où nous avons construis quelques maisons. Nous avons modifié et adapté à nos ressources (du plastique recyclé en quantité industrielle, surtout) des techniques qui traditionnellement cherchaient, avec ingéniosité, à contrecarrer les forces naturelles.

-Est-ce que c'est une utopie réalisée ?

-Ce n'est pas du tout utopique, cela répond à un besoin concret : imaginer une manière d'habiter un territoire en bonne intelligence.

-Bon, je crois que nous avons fait le tour. Je remercie pour votre temps, j'espère ne pas vous avoir trop dérangé.

-Non, du tout, je vous remercie, au contraire. C'est toujours intéressant de voir comment on est perçu à l'autre bout du monde.

-C'est vrai qu'elles sont intrigantes pour nous ces longues chaînes de caoutchouc qui recouvrent l'Europe. Comme des phalanstères qui n'en finissent pas.

-Oui, je crois que c'était un peu l'idée générale. C'est avant une manière de vivre ensemble qu'on essaie d'imaginer. La forme suit...